En m’engageant dans l’aventure de devenir vigneron il y a quelques années, je n’imaginais l’immensité des défis auxquels la viticulture allait faire face. Plus encore que pour les autres filières agricoles, la conduite d’une monoculture et la fragilisation déjà ancienne des sols viticoles rendent les systèmes techniques et économiques particulièrement fragiles aux moindres aléas. Les pathogènes qui ont ravagé la vigne européenne il y a 150 ans sont toujours une menace pour nos vignobles (black-rot, oïdium, mildiou) alors que de nouveaux dangers apparaissent (flavescence dorée). A cela s’ajoute la recrudescence d’évènements climatiques dévastateurs (gel, grêle, sécheresse), qui font du métier de vigneron une angoisse permanente. L’agriculture régénérative se propose, comme d’autres, d’y apporter une note d’espoir en proposant une alternative crédible et performante, basée sur l’amplification des processus biologiques créateurs de l’humus des sols, véritable pivot de la fertilité de nos systèmes. Si ces idées sont aujourd’hui largement reconnues comme concepts, elles sont encore peu mises en pratique (a fortiori en viticulture) et il nous revient à nous aujourd’hui, en tant qu’agriculteurs, de traduire ces concepts en itinéraires techniques polyvalents et accessibles au plus grand nombre. Ces pratiques sont exigeantes car elles nécessitent du temps et du savoir-faire pour l’observation, le diagnostic, afin de définir les pratiques les mieux adaptées. Plus que toute autre, une agriculture qui s’appuie sur les processus du vivant ne peut être une agriculture de recettes.
L’agriculture régénérative dispose d’un éventail de pratiques, véritable boîte à outils mobilisables par les agriculteurs. Si certaines sont déjà pratiquées, la performance de l’approche régénérative repose avant tout sur la combinaison, la connexion entre toutes ces pratiques. C’est cette boîte à outils que je souhaite approfondir et perfectionner au cours de cette étude. Malgré certains atouts, la culture d’une plante pérenne rend difficile l’adoption de certaines pratiques. Les rangs fixes, et parfois très étroits, ou les éléments de palissage, amènent à introduire les couverts végétaux avec prudence et confrontent parfois les vignerons à l’absence d’outils de gestion adaptés. Plus que pour tout autre système, une plante pérenne oblige surtout à penser l’évolution d’un système dans sa globalité, amenant parfois une re-conception complète de son fonctionnement.
L’entrée de ce sujet d’étude est d’abord technique, concentré sur les itinéraires techniques, mais l’avancée du projet amènera sans aucun doute à ouvrir les sujets connexes tels que l’organisation du travail, ou encore la reconnaissance commerciale de ce genre de pratiques.
La rencontre avec d’autres vignerons, d’autres vignobles, d’autres pays, d’autres cultures, est un levier important pour avancer dans la construction et l’amélioration de ces nouveaux itinéraires. L’innovation se nourrit de l’échange et de la confrontation des idées. À travers ces études, je souhaite ainsi me nourrir au contact de vignerons du « Nouveau-Monde » (États-Unis, Afrique du Sud, Australie) qui ont déjà mis en œuvre ces pratiques régénératives et ont commencé à constituer un réseau pour structurer ces connaissances et la diffusion des pratiques. Je souhaite également visiter des vignerons dans des pays proches, d’Allemagne, d’Autriche ou d’Espagne, qui, nourris d’échanges internationaux expérimentent déjà.
L’aventure Nuffield se construit sur deux ans, et il est important de conserver de l’espace pour d’autres rencontres, contacts créés lors des premières rencontres ou effets rebonds d’autres échanges.